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Se reposer, est-ce être feignant ??

Voici venu le temps de l’été, des vacances, du repos.

J’avais envie d’en profiter pour nous interroger sur cette notion de repos, voire de paresse, qui accompagne cette période.


Vincent Van Gogh, La Méridienne
Vincent Van Gogh, La Méridienne

Feignant, fainéant, même combat ?

J’ai toujours cru qu’il s’agissait du même mot, mais qui était prononcé de façon différente. Et c’est le cas,en effet, mais la genèse de ces deux mots n’est pas forcément celle à laquelle on s’attend. Contrairement à ce que l’on pourrait penser (en tout cas, à ce que moi-même je pensais ), c’est fainéant qui est une réfection phonétique de faignant (qui a évolué en feignant, plus courant). On peut facilement penser que fainéant pourrait être une contraction d’une forme conjuguée de "faire" et de "néant", alors qu’en fait, ce mot vient de feignant, mot issu du participe du verbe feindre ("rester inactif", voire faire semblant de travailler)



Être feignant, est-ce que ça signifie être paresseux ?

Oui, a priori, ce sont des synonymes.



Alors, qu’est-ce que la paresse ?


La paresse est un mot qui "désigne d’abord la disposition habituelle à ne pas travailler et, par extension, le manque d’énergie en face d’une tâche", donc à travailler peu, selon le sens courant du dictionnaire : on définit ainsi la paresse principalement en l’opposant au travail, c’est-à-dire à l’activité sociale qui permet de produire ce dont il est besoin pour vivre.


Qu’est-ce donc que la paresse ? Si on la considère indépendamment de l’activité du travail, la paresse s’oppose surtout à l’action, elle est d’abord repos, inaction, inertie.

Être paresseux, ce n’est pas seulement dormir, c’est aussi ne rien faire d’utile, ne faire que des choses vaines, oiseuses.


Mais, on le sait bien, être oisif ne signifie pas seulement être paresseux.

Et être actif ne signifie pas seulement avoir un travail – même si c’est passé dans le langage courant ("la vie active" signifie la vie avec un travail).



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 Mais si on est oisif dès qu’on ne travaille pas, est-on pour autant paresseux ?


L’oisiveté est un temps où on peut faire bien des choses, pas seulement ne rien faire. Le terme de oisif vient de otium qui signifie en latin "temps de repos, retraite, loisir". Le loisir est ce temps libre permettant de faire ce qu’on veut, ce qui ne signifie pas nécessairement l’inaction, la flemmardise ou la fainéantise. Si on a de la difficulté à distinguer l’oisiveté de la paresse, c’est parce qu’on ne pense la paresse que dans son rapport au travail, selon ce seul clivage. C’est même au point de réclamer pour l’oisiveté active et non pas fainéante, l’appellation de "travail", comme cette citation de La Bruyère en témoigne : "Il ne manque à l’oisiveté du sage qu’un meilleur nom, et que méditer, parler, lire, et être tranquille, s’appelât travailler."


On voit bien qu’on tourne beaucoup autour d’une histoire de travail et de non-travail.



La paresse, est-ce que c’est mal ?


Il est difficile de ne pas percevoir dans ces termes de "paresseux" ou de "feignant" une connotation péjorative.

Mais elle vient d’où, cette connotation ? De la religion, du capitalisme, voire de la religion du productivisme ??


Un psychologue social, Devon Price, a écrit un livre dont le titre,t Laziness Does Not Exist (Simon & Schuster, 2021) pourrait se traduire par "La paresse n’existe pas". Dans celui-ci, il dénonce justement cette idéologie qui nous pousse à nous tuer à la tâche pour en faire toujours plus, comme si notre valeur était déterminée par notre productivité, voire même notre niveau d’épuisement. A cause de cette façon de voir les choses, nous avons désappris à écouter notre corps et notre psyché, et nous nous faisons du mal pour une cause qui nous est étrangère au fond.



Devon Price et le mythe de la paresse.


Pour Devon Price, il est grand temps de casser ce mythe de la paresse !

La paresse n’est pas un défaut moral ou un trait de personnalité condamnable mais un signal qu’il faudrait apprendre à mieux écouter. Lorsqu’on se sent d’humeur paresseuse, cela signe notre besoin de repos : peut-être que le travail a épuisé nos capacités physiques et /ou que nous traversons un moment de notre vie difficile qui par ailleurs épuise notre capital- énergie, ou bien qu’il serait souhaitable de peut-être réfléchir à orienter différemment notre vie… Dans tous les cas, un break s’avère nécessaire, pour recharger les batteries, physiques, psychiques, cognitives, émotionnelles, énergétiques.

Il ne nous viendrait pas à l’esprit de critiquer un animal pour son besoin de sommeil. Pourquoi donc jugeons-nous les humains avec tellement moins de compréhension ?


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Devon Price met l’accent sur un aspect intéressant de l’histoire : Le mot lazy est entré dans la langue anglaise au XVIe siècle. Ce n’est nullement un hasard car cela correspond à la montée en puissance de l’idéologie puritaine. Pour les Puritains qui ont eu tant d’influence outre-Atlantique, Dieu ne sauvera que quelques élus. Les gens qui travaillent dur et ne s’écoutent jamais en font probablement partie (des “élus”). Mais même si Dieu ne vous a pas choisi pour être sauvé, vous avez quand même intérêt à trimer dur… pour signaler aux autres que vous êtes du bon côté. Les paresseux, eux, sont damnés et on ne peut rien pour eux. Cela était bien pratique pour motiver les esclaves à trimer dur même sans rémunération : ils pouvaient avoir l’espoir d’être récompensés dans l’au-delà (à défaut d’ici-bas).


Et Devon Price va plus loin : pour lui, l’idéologie au fondement du mythe de la paresse n’a pas disparu avec le (relatif) déclin du Christianisme puritain. Cette idéologie a évolué et s’est émancipée de ses fondations chrétiennes. Le capitalisme industriel en a même fait ses choux gras : après tout, si l’on arrive à convaincre les ouvriers qu’il est moralement répréhensible de se reposer, on aura de bons petits soldats pour faire tourner les usines à moindre coût.


Donc en fait, la connotation péjorative de la paresse n’est que le fruit du travail de sape des religieux et des patrons !! Ils nous ont conditionné à voir chaque signe de faiblesse comme suspect, à ne pas écouter notre corps ni même la maladie.  "Le mythe de la paresse nous apprend à craindre et à détester nos besoins humains les plus fondamentaux", écrit Devon Price. La “paresse” signale en réalité les besoins les plus primaires : fatigue mentale, déshydratation, symptômes dépressifs, faim…

L’aspiration à la paresse n’est que l’expression de notre besoin de repos. Et il est important d’être à l’écoute de nos besoins, savez-vous…


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Alors, puisqu’on arrive à ce sujet, posons-nous la question :


Qu’est-ce que le repos, au fond ??


Pas si facile que cela à définir…


Le dictionnaire nous suggère deux possibilités : soit un état d’immobilité, soit la cessation d’une activité antérieure.


Lorsque l’on parle d’un repos physique, cela suggère un état actif juste avant, comme le repos après un effort sportif. Mais lorsque l’on parle de "repos" au sens général, comme lorsque notre médecin nous le prescrit, ou lorsque nous partons en vacances pour nous reposer, est-ce qu’il s’agit de cesser simplement toute activité, de se poser dans son lit et d’attendre que le temps passe ? En fait, bien sûr que non ! Si l’on fait cela, il est à parier que très vite, l’ennui va déployer sa cape et vous happer dedans, faisant apparaître un état intérieur bien loin de l’état de repos idéalement souhaité.


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Le repos, celui que l’on attend des vacances, est plutôt à comprendre comme un désengagement des sollicitations extérieures, des contraintes, des objectifs tels que la production, l’utilité, l’efficacité, pour se recentrer sur notre vie intérieure, nos besoins, nos envies, avec des objectifs qui se situent plutôt au niveau de la détente, du plaisir, de l’épanouissement.




Repos et activités


Puisque nous envisageons ce terme de repos non comme une absence d’activité mais comme un recentrage sur soi et ce qui nous fait du bien, rien n’empêche d’envisager des activités compatibles avec cette notion de repos.


Là, le champ est vaste !! Ce sont les activités qui vous font plaisir, soit directement par leur pratique elle-même, soit par le partage qu’elles appellent : avec vos enfants, votre conjoint, vos amis, etc.


Cela peut être :

  • des activités de détente pure (des siestes, des lézardages au soleil ou dans un hamac, des rêvasseries…),

  • des activités physiques (de préférence cools, hein, il n’est pas question de s’entrainer pour conquérir aux jeux olympiques : par exemple la natation, la randonnée, le yoga…). Ces activités nous permettent de ressentir notre corps, de retrouver progressivement souplesse, tonicité, force et énergie. Elles génèrent une fatigue physique qui va permettre d’équilibrer la fatigue issue de la charge mentale et de restaurer les grands équilibres qui structurent votre hygiène de vie, comme le sommeil ou l’appétit.

  • Des activités qui vous mettent en contact avec les éléments : Fréquentez l’ombre des forêts et les plages désertes, sortez des sentiers battus et laissez la pluie mouiller vos cheveux et votre visage, le vent vous envelopper et le soleil vous réchauffer. 

  • La lecture, qui nous permet de prendre un recul salutaire par rapport à notre quotidien et de nous évader très loin de tout ce qui peux nous tracasser. Cela peut être un bon roman, une bande dessinée, des récits de voyages, des livres légers et humoristiques. OU même ceux traitant de sujets qui vous passionnent, qui permettent de vous nourrir intérieurement – du moment qu’ils ne vous demandent pas un effort intellectuel trop important.

  • L’écriture peut être aussi une belle activité, qui permet de se reconnecter avec soi. Ce peut être une sorte de « journal de repos » ou « journal de vacances », où il est possible de consigner tout ce qui nous passe par la tête, nos humeurs, nos rêves, éventuellement des citations rencontrées dans nos lectures, nos réflexions, etc. Tenir un journal est souverain pour rester connecté à soi-même, je ne saurais trop vous conseiller de garder cette habitude à votre retour de vacances !!

  • Le contact avec le beau, aussi, nous fait du bien et toutes les activités susceptibles de développer notre sens artistique et esthétiques sont porteuses de mieux-être : le dessin, la peinture, la photo, par exemple....





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Non, se reposer, ce n’est pas "mal" !!!

J’aurais même tendance à dire que c’est "bien", dans la mesure où c’est un besoin, réel, physiologique, un besoin auquel on devrait être bien plus à l’écoute au quotidien.

Ce n’est pas toujours facile, avec la vie que nous menons dans notre culture laborieuse. Alors au moins, profitons de nos vacances pour nous mettre en mode relax !!




Luce Barrault

Juillet 2025



 
 
 

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