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La question du sens de la vie



Pourquoi vivons-nous ? Il s’agit là de LA question métaphysique la plus fondamentale, celle qui agite l’homme depuis des millénaires.



C’est pour tenter de répondre à cette question que la religion et la philosophie se sont développées.




L’art s’est aussi beaucoup emparé de ce sujet : nombres d’œuvres littéraires et cinématographiques en traitent, des romans initiatiques aux films des Monty Python (j’ai un excellent souvenir du film éponyme qui pourtant ne donnait pas beaucoup de réponses à cette question!)








La recherche de sens est une composante essentielle de notre santé psychique.

Certaines personnes pensent que chercher un sens à tout est de la masturbation intellectuelle, mais il faut savoir que l’’absence de sens peut engendrer des problèmes graves comme la dépression, la dépendance et même le suicide.

Il existe d’ailleurs une névrose particulière venant de l’absence de raison de vivre : c’est ce que l’on appelle la névrose noogène. En fait, il s’agit plus d’une détresse existentielle que d’une maladie mentale.



Quelle est la question, au fond ?

La problématique du sens de la vie peut se décliner en plusieurs questions qui vont préciser ce qu’on y met :

- D’où vient-on ? Où va-t-on ?

Autrement dit, notre vie pourrait n’être qu’un passage entre deux points et c’est cela qui lui donne son sens (un sens de circulation, en quelque sorte). L’éventualité d’un « avant » peut donner du sens à ce que l’on vit, dans la perspective de vies antérieures qui pourrait expliquer nos épreuves , nos fonctionnements, les événements de cette vie présente. L’idée d’un « après » donne du poids aux éventuelles conséquences de qui nous sommes et ce que nous faisons.


- Pourquoi sommes-nous sur Terre ?

Pourquoi est-ce que je suis sur Terre, au même titre que les poissons, les fourmis, les éléphants, les carottes ? Il n’y a peut-être pas de réponse à cette question…

Mais s’il y a une réponse, par où faut-il chercher ?


- Quel est le but de l’existence ?

Le but de l’existence peut être un point à atteindre, une œuvre à accomplir par exemple, mais ce n’est pas forcé : il peut s’agir d’un but hédoniste, profiter au maximum de chaque instant de la vie, ressentir du plaisir à être vivant, et c’est tout.

- Une autre question peut se poser, écartée du contenu propre de notre vie : quel genre de personne je veux être ?

Ai-je envie d’être quelqu’un de généreux, d’altruiste, quitte à m’oublier moi-même ? Est-ce que je préfère m’isoler des autres et mener ma vie en ermite ? Est-ce que je préfère être dans l’action en permanence, ou plutôt dans la réserve voire la passivité ? Un parent permissif ou un parent cadrant ? Un poète ou un sportif ?


- La question peut aussi faire référence à un système de valeurs : que dois-je faire pour que je puisse dire que ma vie est bonne ? Quels sont les critères qui peuvent rendre bonne une vie ?


- Quelle est ma mission de vie ? Cette question se réfère à un but supérieur que soit la personne, soit une entité spirituelle lui aurait donné, et qui, tout en lui échappant, donne un sens à ce qu’elle est venue faire dans cette incarnation.



On voit bien qu’il y a deux grandes catégories de préoccupations par rapport à la question du sens de la vie :

1 – celle de nature plutôt pratique et morale, pouvant être illustrée par : comment avoir une vie bonne ? Qui ai-je envie d’être ?

2 – celle de nature plutôt métaphysique et spirituelle, relative à notre place sur Terre et dans l’Univers, avec l’idée d’un continuum, et peut-être d’une mission.




Les sources de sens


En fait, plutôt que de parler « du » sens de la vie, on pourrait peut-être évoquer plutôt « les » sens ?

Par exemple, on pourrait essayer de les voir sur une sorte d’échelle de « profondeur » :

- le sens "hédoniste" : celui du plaisir, de la jouissance, du confort

- le sens "personnel" : celui de la recherche de développement personnel, de la réalisation de ses talents

- le sens "altruiste" : être au service des autres

- le sens "transcendant" : la recherche d’un sens suprême, spirituel, divin.




Point de vue objectif ou subjectif ?


La réponse à la question du sens de notre vie nous appartient-elle complètement ou les autres pourraient-ils avoir leur mot à dire ?

Lorsque nous évoquons les vies de Socrate, Marie Curie, Brahms, nous sommes enclins à leur trouver d’emblée du sens, au vu de ce qu’ils ont apporté à l’humanité. Ils nous semblent qu’ils ont dirigé leurs vies et leurs actions de façon à réaliser des accomplissement moraux, esthétiques et intellectuels qui ont une valeur intrinsèque. Pour nous, objectivement, leurs vies ont un sens. Mais eux, avaient-ils la même vision ?

Lorsque nous parlons du sens de notre vie, nous avons souvent tendance à voir la valeur intrinsèque de celle-ci, c’est-à-dire celle que nous lui donnons nous-mêmes. C’est cette valeur qui nous permet d’avancer. Peu importe ce que les autres y voient, c’est notre propre perception de notre vie qui a de l’importance.


Si l’on repense à Sisyphe et à son rocher qu’il est condamné à pousser en haut d’une colline et à laisser retomber, encore et encore, la perspective que sa vie ait un sens nous semble assez clairement négative. Vue de l’extérieur, cette action nous semble absurde, sans finalité, sans intérêt. Mais cet homme a peut-être une autre perception que nous : peut-être qu’il éprouve énormément de plaisir à déplacer ce rocher et à le voir dégringoler, peut-être qu’il considère que c’est sa mission de vie de faire cela, peut-être qu’il considère n’avoir rien d’autre à faire qu’à obéir aux dieux – alors, Sisyphe peut juger que sa vie a du sens. Peut-être même, comme le suggérait Camus, on pourrait l’imaginer heureux ?


A mon sens, le sens n’a rien d’objectif : il tient essentiellement à la personne qui interprète, traite et évalue une situation spécifique, et non aux circonstances. C’est la personne elle-même qui donne du sens à son existence. C’est pourquoi des personnes qui sont confrontées à des limitations et à des pertes (je pense particulièrement aux maladies, au handicap, etc.) n’ont pas nécessairement une vie moins riche de sens que d’autres personnes à priori plus favorisées.

On peut apprécier les contributions à l’humanité de Socrate, Brahms et Marie Curie sans pour autant juger du sens de leur existence qui leur appartient en propre.




Le sens que nous attribuons à notre vie dépend de notre système de croyance


Ce sens que nous allons donner à notre vie est dépendant de notre vison du monde et de notre système de croyance.

Cela nous donne un cadre qui nous permet d’interpréter les évènements qui nous arrivent, ce qui leur confère une signification et aussi une valeur. C’est grâce à ce cadre que nous pouvons envisager une réponse à la question qui nous occupe.

Ce cadre, cette vision du monde, est au croisement entre la construction personnelle et l’environnement socioculturel.

Ce n’est pas la même chose d’évoluer dans un environnement religieux qui promet un avenir meilleur après la vie si celle-ci a été irréprochable que de vivre dans un contexte de philosophie existentialiste où la vision était celle d’un homme qui naissait et mourrait par hasard, sans aucun élément extérieur venant donner du sens à cette existence.

Bien sûr, quel que soit le contexte, ce n’est pas celui-ci qui va donner du sens, mais le degré d’engagement de la personne par rapport à la croyance.



Le sens de la vie change à tout âge


La question ne se pose sans doute pas de la même façon selon l’âge auquel on la formule. A 20 ans, on cherche une direction à laquelle se fier, faire ses choix de vie - m ais à la veille de sa mort, on va regarder rétrospectivement le chemin parcouru et sans doute en faire une toute autre lecture.


Tout au long de sa vie et selon ce qui va s’y passer, ce "sens" va évoluer. On peut noter les impacts de nos amours, de la naissance des enfants et de leur développement, des deuils, des lectures, des projets qui apparaissent, disparaissent ou se concrétisent, des rencontres, des prises de conscience…



Ce qu’en pensent quelques auteurs


Pour répondre à une question aussi difficile, on peut être tenté d’aller voir ce que les autres ont pu en dire. Cela nous permet de nous positionner par rapport à leur pensée, et d’ainsi affiner la nôtre.

Pour Socrate , l’homme devait se soucier de son âme au lieu de se préoccuper de son corps, des richesses et des honneurs, et ainsi chercher à s’améliorer et à vivre de façon cohérente. Socrate nous invitait à nous rendre aussi “excellent” et “raisonnable” que possible.


Platon aussi voyait le sens de la vie dans la transcendance, en tentant d’obtenir la plus haute forme de connaissance, l’Idée du Bien. La matérialité n’était pas ce qu’il convenait de rechercher.

Sénèque s’est interrogé sur la meilleure façon de profiter du temps de la vie. Il constatait que bon nombre de ses semblables le gaspillait en avarice, travaux, inaction, intrigues, conquêtes, combats, comme s’ils étaient immortels, et se retrouvaient au seuil de la mort en se lamentant que la vie avait été trop brève. Il pensait que l’homme devait économiser son temps avec un soin extrême. Pour ce faire, il fallait regarder le passé avec recul, habiter le présent et ne pas attendre, c’est-à-dire ne pas différer de vivre. Sénèque recommandait de vivre chaque jour comme toute sa vie.

Par ailleurs, il considérait que le sage este seul qui sache vraiment vivre, car il donne son temps au seul vrai loisir. Il défriche la vie pour les générations suivantes comme les précédentes l’ont fait pour lui. En donnant ainsi, comme un ami, la richesse de ses pensées par l’intermédiaire de son œuvre, il ouvre les perspectives et le temps ; en dessinant une vie qui ne périt point, il est une porte vers l’immortalité. La sagesse est donc, elle seule, à l’abri du temps.


Montaigne voyait la vie comme un fait et un don (de Dieu ou de la Nature). Pour lui, il s’agissait surtout de la vivre au mieux, dans sa totalité et au présent. A son avis, tout homme pouvait faire de sa vie un chef d’œuvre, à condition de savoir définir un art de vivre qui lui corresponde.


Pascal est connu pour son pari, qui pourrait s’exprimer ainsi : soit le paradis existe, soit il n’existe pas. S’il n’existe pas, alors peu importe ce que l’on fait de sa vie, mais s’il existe, autant tout faire pour pouvoir y accéder. Pascal "parie" donc que ce paradis existe et décide de conduire sa vie de façon à pouvoir le gagner.


Pour Kant , chaque action devait être éthique, avec un impératif moral de devoir. Il convenait donc de mener sa vie selon ces devoirs, auquel cas notre vie avait de la valeur.


Jeremy Bentham, fondateur de l’école de pensée de l’utilitarisme, pensait que le but de n’importe quelle action était d’augmenter notre plaisir et de diminuer notre souffrance. Le sens de la vie était donc le "principe du plus grand bonheur". On retrouve cette pensée déjà chez Epicure.


Nietzche statuait que le sens de la vie ne pouvait pas être interprété par l’homme, puisque lui-même faisait partie intégrante de cette vie-même. Il n’était pas possible de lui trouver un sens de l’intérieur.

En même temps, il pouvait exprimer le fait que tout être humain, à son niveau, pouvait tenter de faire quelque chose de sa vie pour lui donner un sens. Il invitait tout un chacun à aimer la vie dans sa totalité, et à suivre ses propres valeurs.


Pour Albert Camus , il est inutile pour l’être humain de songer à trouver le sens de la vie, puisqu’il n’y a pas de sens. Sa vision était que comme il n’y a pas de cause originelle, cette question relève de l’absurdité. Ceci étant dit, il pensait que c’est justement par l’acceptation de l’absurde que l’être humain pouvait vivre librement.


Quant à Sartre, sa pensée était que chaque individu arrivait dans un monde sans but ni valeurs prédéfinies. Il naissait sans but et ne cessait de changer durant sa vie en se définissant par ses actes, puis à sa mort, il se figeait. Comme il n’y avait pas de Dieu pour le concevoir (et l’accueillir ensuite), l’être humain n’était rien d’autre que ce qu’il choisissait d’être.

On peut citer également Viktor Frankl, le père de la logothérapie. Cet homme a découvert pendant son séjour dans les camps de concentration de la Seconde Guerre Mondiale que le fait d’avoir un but et un sens à sa vie l’aidait à survivre malgré les conditions horribles. Pour lui, les efforts pour trouver un sens à sa vie constituent la motivation fondamentale de l’être humain. Sa raison de vivre est unique et elle n’est révélée qu’à lui seul.

Il disait qu’on découvrir ce sens en suivant 3 voies :

- la voie de l’accomplissement : la réalisation de bonnes actions, la création d’une œuvre

- la voie de l’amour, qui mène à l’établissement de liens significatifs et favorise le contact avec la nature et l’art.

- la vie de la transcendance, qui incite l’individu à adopter une attitude positive face à la mort et aux souffrances inévitables.




A mon humble niveau


Depuis toujours, comme beaucoup d’humains, je suis préoccupée par cette question. Celle-ci a pu me mener dans d’âpres contrées existentielles où j’ai côtoyé le désir de mourir pour échapper à l’absurdité que je sentais de la vie. A cette époque-là, la réponse à cette question n’aurait certainement pas été celle que j’apporte aujourd’hui, de la même façon qu’elle ne sera sans doute pas celle que j’apporterais à la veille de ma mort. Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, ma vision est la suivante :


La vie est comme un fleuve.

Le sens de la vie, c’est le sens du courant de ce fleuve. Parfois, il est tumultueux comme un torrent, et parfois, il est beaucoup plus calme, presque stagnant. Comme la vie, oui : parfois intense et trop rapide, parfois très voire trop calme. Parfois, ce fleuve semble presque asséché, et à d’autres moments, il semble plutôt vivre quelque chose qui se rapproche de la crue… Mais ce fleuve est la vie, et avoir un sens à sa vie, c’est suivre le courant de celle-ci. Tant que l’on est dans ce flux, on est dans le sens de la vie.

La difficulté, peut-être, est de ressentir ce flux.

Il convient déjà, avant même de tenter de ressentir ce courant, de se sentir soi-même. Quelqu’un qui n’agit que par devoir ou pour briller dans les yeux des autres n’est pas en contact avec lui-même et ne se sent pas profondément exister. Pour ressentir ce flux, il faut déjà se ressentir, soi.

Mais même lorsque cette étape est franchie, il n’est pas si évident peut-être de sentir le courant de la vie. Pourtant, pensez à toutes les fois que vous vous êtes sentis vivants…

Cela a pu se produire lors d’expériences telles que : un sentiment amoureux, une rencontre entre amis, une escapade dans la Nature, la réalisation d’une peinture, l’écoute d’une musique, un jeu avec un de vos enfants,une baignade dans l’océan, un vertige devant un ciel étoilé, peut-être lors de sports extrêmes, de saut à l’élastique ou en parachute… Au passé ou au présent. Lorsque vous faites l’amour, lorsque vous riez avec un proche, lorsque vous chantez sous la douche, lorsque vous caressez votre chien, lorsque vous êtes satisfait de votre travail accompli, lorsque vous entendez les oiseaux gazouiller… Les exemples sont innombrables, et souvent très personnels.

Les moments où nous sentons la vie passer en nous ne sont pas seulement les moments où nous éprouvons des émotions positives. Ce sont aussi les moments douloureux, les pertes, les deuils, les difficultés à surmonter. Lors de ces moments-là aussi, la vie aussi nous traverse.

Il est des émotions, des actions, des circonstances, qui nous font ressentir ce courant de la vie plus intensément que d’autres, et nous pourrions avoir envie de les encourager car ce ressenti est en fait agréable, même dans les moments douloureux. Mais la vie est là en permanence, et elle coule sans que nous n’intervenions. Le fameux "lâcher-prise" dont nous entendons souvent parler ne serait-il pas le fait de s’abandonner à ce courant de la vie, à ce flux, en toute confiance ?

Je crois que la clé, ce n’est pas de provoquer des événements qui provoquent des émotions où nous nous ressentons intensément vivants, mais travailler à ressentir la vie à chaque instant, même semble-t-il insignifiant. En cela, la méditation peut être d’une aide précieuse.




« Ce qui va donner du sens à sa vie, ce n’est pas tant ce que l’on a , ou ce que l’on obtient, c’est surtout la façon dont on se regarde vivre »

(Dr Frédéric Fanger,« Où vas-tu ? »)







Luce Barrault

Juin 2023

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