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IL ETAIT UN FOIS… LE CONTE

Comme c’est agréable de laisser transporter dans l’univers imaginaire du conte !! Après les 4 petits mots magiques, c’est à un véritable voyage intérieur que nous sommes conviés… Univers fantastique qui, derrière ses apparences parfois simplistes, nous ouvre aux questions fondamentales de l’homme.




Le conte ne se borne pas à nous transporter dans l’imaginaire. C’est un médiateur de la vie psychique qui permet une remise en route du plaisir de penser, d’imaginer. N’oublions pas que sous une forme extrêmement agréable où le mental semble s’endormir, bercé par la musique des mots et la puissance évocatrice des images, la finalité du conte est essentiellement morale ou philosophique.



Proposer une définition du conte


La définition proposée par le Larousse est la suivante : le conte est un récit bref dont l’action, toujours relatée au passé, si situe dans un univers différent du monde réel. Le récit repose explicitement sur le caractère fictif de l’intrigue, ancrée dans l’imaginaire, le merveilleux, le surnaturel, l’invraisemblable.


On pourrait dire qu’il représente un compromis entre le rêve et la réalité – sans doute bien plus que tout autre type de récit, car il est profondément symbolique, comme nous le verrons plus loin.


L’un des ingrédients indéniables du conte est le plaisir éprouvé à son contact, autant par celui qui le raconte que par celui qui l’écoute, autant par celui qui l’écrit que par celui qui le lit. Et ce, quel que soit notre âge !





Du côté de l’étymologie


Une première hypothèse étymologique relie le mot "conte" au latin computare qui signifie calculer, compter, supputer, et aussi dans un second temps compter pour. Le conte est un récit qui se base sur des suppositions et dont le contenu prend un sens particulier pour ceux qui l’écoutent. C’est un des points spécifiques du conte : l’histoire n’est pas la même pour chaque auditeur ; il compte donc pour chacun, même si différemment.


La deuxième étymologie possible relève du grec conton qui signifie rapide, court. Effectivement, généralement, le conte est un récit assez court.




Différencier le conte du mythe et de la légende


Le mythe se réfère au tragique de l’espèce humaine. Il est un récit fondateur, lié à la fois à une dimension religieuse et rituelle. Le mythe s’inscrit dans un système de croyances et il détermine la plupart du temps une série de pratiques spécifiques à une culture et à une tradition.


Quant à la légende, elle est un récit qui est ancré précisément dans une région ou un lieu déterminé, par exemple un château en Ecosse ou la forêt de Brocéliande, ou… Fréquemment, elle explique les origines d’une famille, d’une seigneurie, d’une royauté. La légende s’inscrit à l’origine d’une lignée généalogique et permet l’articulation entre les dimensions historique et imaginaire.





Tenter un catalogue des différents types de contes:


- le conte de fées (ou le conte merveilleux) qui fleurit au XVII° siècle sous les plumes de Mme D’Aulnoy et de Charles Perrault, présente, dans un cadre rêvé, une action schématique, des personnages facilement identifiables en "bons" et en "méchants", et un propos essentiellement éducatif. Il est réputé être souvent à destination des enfants.

Il comporte des éléments surnaturels issus d’un fond religieux ou animiste. Il est "balisé" par une entrée et une sortie clairement identifiable (des formulettes de type "il était une fois"). L’auditeur est invité à entrer dans son jeu pour prêter foi aux évènements racontés : le conte sécrète son espace, son temps, ses personnages propres, et est ainsi entièrement coupé de la réalité – ce qui lui permet (mais c’est une autre histoire ) de ne pas pouvoir la menacer. Dans ce type de contes, il n’y a surtout pas de règles de vraisemblance : les animaux parlent, les objets ont des pouvoirs magiques… Ils sont peuplés de personnages stéréotypés de type roi, reine, prince, fées, elfes, dragons, etc. Ils expriment les difficultés de la condition humaine : peurs, désirs, espoirs.

Est-il besoin de citer des exemples ? Ceux-ci sont nombreux : "Le Petit Chaperon Rouge", "La Belle au Bois Dormant", "Cendrillon", "Barbe Bleue", "Le Chat Botté", "Hansel et Gretel", etc.


- le conte moderne ou conte fantastique : c’est l’introduction du merveilleux dans un contexte moderne. Ce type de contes est écrit, et donc attribué à un auteur unique pour chacun, avec une seule version (contrairement à d’autres types de contes issus de la tradition orale). Les personnages n’y sont souvent pas aussi caricaturés que dans les contes merveilleux. Citons en exemple : "La petite marchande d’allumettes " d’Andersen, "Les contes bleus du chat perché" de Marcel Aymé, "Le cheval magique" de Chen Jiang Hong, "Contes et récits fantastiques" de Théophile Gauthier.


- le conte étiologique (ou contes des origines) : c’est un récit qui raconte le pourquoi et le comment des choses et du monde, aussi bien anodines que cosmiques. Par exemple : "Pourquoi le lapin a-t-il de grandes oreilles ?", "Pourquoi y a-t-il tant d’idiots de par le monde ?", "Comment le soleil et la lune se sont éloignés de la Terre". Il part d’un temps originel pour aboutir à notre temps actuel, fournissant des explications fictives et poétiques sur les origines de toutes sortes de phénomènes. Ces contes sont très fréquents dans les cultures africaines, asiatiques ou amérindiennes.


- le conte philosophique, pratiqué par exemple par Voltaire dans "Zadig" ou "Micromégas", présente des situations voisines du réel, des personnages quasi familiers. Il est le porte-parole des conceptions philosophiques de son auteur qui les image par ce récit.


- le conte de sagesse : cette catégorie inclut des contes philosophiques issus de traditions ésotériques (Soufi, Hassidiques, Zen, Taoïstes, etc.) qui étaient racontés de maitre à disciple pour inviter celui-ci à méditer sur un aspect qui échappait encore à sa conscience. Il s’agit souvent de récits courts et exemplaires.


- le conte plaisant ou facétieux, qui fonctionne sur le registre de l’humour et cherche à amuser le lecteur. Ce type de conte regroupe toutes sortes de récits différents, souvent anecdotiques. On y retrouve tout un tas d’anti-héros qui auraient passé sans succès les étapes de l’initiation. La plupart de ces histoires sont à destination des adultes (histoires de couples, ou bien des anecdotes sur les femmes, ou le mariage comme punition, ou le prêtre trompé, ou…).


Je m’arrête là dans la liste des différents types de contes. Quand on se penche sur la question, on peut en fait en trouver beaucoup d’autres : les fables, les contes d’animaux, les contes de filous, les comptines, les randonnées, les contes érotiques, les contes d’horreur, les contes satiriques, etc.





La construction du conte


Bernard Chouvier, dans son livre "La médiation thérapeutique par les contes", nous explique que le conte merveilleux est construit selon une double structure, dont les deux parties s’emboîtent de façon à assurer l’accomplissement des différentes fonctions psychiques qu’il est censé remplir.


Le premier niveau correspond à une structure représentée comme une boucle refermée sur elle-même avec un point d’arrivée qui n’est cependant pas superposable au point de départ. En effet, entre les deux, il s’est produit un changement radical qui correspond exactement au processus psychique mis à l’œuvre symboliquement dans l’échange qui s’opère entre le conteur et celui qui reçoit l’histoire contée.


Différentes étapes sont nécessaires au conte : un déséquilibre initial est d’abord posé, qui met en marche la dynamique du récit. Le conte va être essentiellement une quête au cours de laquelle un héros (ou une héroïne) va tenter, au prix de nombreuses épreuves, de rétablir l’équilibre initial perdu à la suite d’un évènement à caractère traumatique (par exemple une famine ou la disparition d’un parent ou tout autre évènement). Au cours de ces épreuves, il va devoir vaincre des êtres maléfiques, trouver son chemin, s’appuyer sur des forces bénéfiques (des objets, des fées, etc.). La dernière épreuve est en général la plus redoutable : le héros se trouve en face de l’ennemi le plus puissant jamais rencontré, et il va devoir l’affronter et le vaincre grâce à l’ensemble des forces magiques qu’il a réussi à fédérer autour de lui au cours de ses pérégrinations. Ainsi, il va pouvoir rentrer chez lui, la boucle étant bouclée et l’équilibre rétabli – et non seulement il apparaît ainsi comme le sauveur, mais il a beaucoup appris de ses pérégrinations.



Le second niveau structurel concerne le contenu propre de chacun d’entre eux. Chaque conte renvoie à une problématique particulière qui le caractérise.


C’est grâce à cette double structuration que le conte peut avoir un certain pouvoir sur la vie psychique car cela lui confère une double action, à la fois au niveau conscient et au niveau inconscient. En même temps qu’on est porté par le déroulement linéaire du récit et que notre attention est captée par le déroulement des différentes actions, le message profond du conte atteint l’inconscient.





Le conte est à l’instar du rêve.


C’est ainsi que le conte s’apparente au récit du rêve, il en a la portée symbolique et le pouvoir évocateur singulier. Derrière chaque mot, derrière chaque phrase, derrière chaque image, se cache une référence à un processus primaire. Freud ne s’y est pas trompé lorsque, dans son livre "L’interprétation des rêves", il se référait aux contes de fées pour étayer ses propos sur l’analyse des rêves : "nous savons déjà que dans les mythes et les contes de fées, les proverbes et les chansons, le langage d’imagination utilise le même symbolisme", écrivait-il. Et c’est de ce même symbolisme dont il est question dans le rêve.


Dans mes recherches sur le sujet, j’ai aussi trouvé un certain Schwartz, qui en 1956, relevait que le conte de fées, comme le rêve, procédait par opposition ou contraste, était parfois illogique, possédait une signification manifeste et latente, employait des symboles, interprétait et étendait le concept de réalité, était une forme d’expression dramatisée, contenait des éléments sexuels et culturels, exprimait des désirs et utilisait des mécanismes de condensation, substitution, déplacement, évaluation et surévaluation.

Bref, le conte relève de la même énergie que le rêve !





Le conte est aussi un parent du jeu


Tout comme le jeu, le conte peut créer un "espace transitionnel" tel que décrit par Winnicott, un espace intermédiaire entre la réalité intérieure et la réalité extérieure : "une aire intermédiaire d’expérience [qui] subsistera tout au long de la vie dans le monde d’expérimentation interne qui caractérise les arts, la religion, la vie imaginaire".


Et bien sûr, le conte met en suspens les instances du réel, tout comme le jeu. Ainsi, on peut relever plusieurs points qui font en quelque sorte partie de la "recette" du conte :


- L’espace du conte est un non-espace. C’est un lieu qui n’existe pas, un lieu coupé du monde – une sorte de projection de l’espace interne sur l’espace réel, une réalité sans les lois de la réalité, une projection onirique du "vaste monde".


- De la même façon, le temps du conte est hors-temps. La fameuse formule "il était une fois" nous délivre des lois de la temporalité. L’histoire ne se situe pas dans l’Histoire, on ne peut pas la dater précisément, il n’est fait référence à aucun fait historique. Il semble se situer dans le passé, et pourtant ce temps est toujours un peu porteur du présent…


- On observe fréquemment dans le conte des métamorphoses. Les animaux parlent, les loups ne sont plus des loups, les douces grands-mères deviennent de puissantes sorcières… C’est en monde en perpétuel mouvement, dont on ne maitrise pas vraiment la représentation.


Ces dimensions séduisent et attirent, parce qu’elles ouvrent sur un ailleurs, tout en gardant un lien avec la réalité. Elles sont les ingrédients de l’envoûtement que suscite le conte, permettant l’anesthésie de notre sens critique et de notre capacité de jugement.






Comment fonctionne le conte ?


L’univers du conte est en correspondance avec les parts les plus cachées de la vie psychique, celles qui agissent en souterrain sur nos pensées et sur nos actes. Le conte a à voir directement ou indirectement avec les désirs profonds qui nous habitent, avec les craintes et les peurs les plus enfouies.


Pour entrer dans le conte, il est nécessaire de lâcher prise, de faire fi des invraisemblances et des jugements. Le conte demande à être pris au sérieux pour laisser libre accès à la puissance évocatrice qu’il contient. Il y a , au cœur du conte, une énergie essentielle qui nous parle de la vie et de la mort. Peu importe l’âge de celui qui le reçoit, le conte s’adresse à la partie la plus archaïque de son psychisme . Il fait vibrer ces zones inconscientes peuplées des angoisses les plus massives soigneusement reléguées au plus profond de nous.


Et le conte, par sa composition même, est en mesure de contenir ces peurs qu’il fait revenir au jour. Il les code, les nomme, les présente à l’intérieur d’un cadre sécurisant, et parvient ensuite à leur donner un traitement. C’est là qu’arrive le plaisir que nous éprouvons à la lecture ou l’audition d’un conte : après l’effroi de la terreur, le fait d’éprouver la capacité de maitriser l’angoisse est extrêmement jouissif.


Les personnages du conte, les lieux imaginaires évoqués, les éléments, les objets, sont autant de modalités transformatrices de données internes flottantes et inélaborées.






Le conte nous parle de l’expérience humaine, de la naissance et de la mort, de l’homme et de la femme, de la richesse et de la pauvreté, de l’envie et de la rivalité, de l’apprentissage de la vie, du mystère des origines, etc. Mais, comme l’écrit Winnicott, "le conte dit sans dire" : c’est un révélateur et un médiateur de la vie psychique. Il offre à l’enfant – et à l’adulte - la possibilité de retrouver des situations émotionnelles proches des siennes, mais projetées sur quelqu’un d’autre, ce qui quelque part le protège.


Le message que le conte délivre est directement recevable et perceptible pour chaque instance de la vie psychique. L’imaginaire conscient y trouve son compte en écoutant une histoire plaisante provoquant la détente. Les instances idéales et morales se satisfont des aspirations positives du héros, de la résolution finale des conflits et de la quête engagée. Entre ces deux positions peuvent prendre place, de manière acceptable et reconnue, les exigences propres de l’inconscient, à savoir l’expression des angoisses et des peurs archaïques, ainsi que la satisfaction indirecte et substitutive des désirs bruts et difficilement reconnaissables.






Le contenu du conte parle aussi bien au conscient qu’à l’inconscient.




Luce BARRAULT

Mars 2024

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