Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais personnellement, je n’aime pas du tout cette expression... Pourtant, il faut bien reconnaître qu’après toute perte, en particulier d’un être cher, un travail (psychique) doit s’engager pour continuer à vivre malgré l’absence.
Mais au fond, c’est quoi que l’on appelle "le deuil" ?
Le deuil, c’est est un état affectif douloureux consécutif à une perte importante. Il est très souvent rattaché à la mort d’un proche mais il peut aussi concerner d’autres situations comme la perte d’un emploi, d’un logement, d’un animal de compagnie, un divorce, une séparation, une détérioration importante de l’état de santé ou la survenue d’un handicap, etc. C’est vraiment la notion de perte qui est importante.
Le deuil, c’est est un processus psychologique complexe, par lequel il est nécessaire de passer pour pouvoir réinvestir sa vie sans l’être (ou l’objet) aimé. Ce processus ne doit surtout pas être entravé ; il est nécessaire que la personne endeuillée puisse vivre et exprimer ses émotions, quel que soit le temps durant lequel elle les ressent. Par ailleurs, il est impossible de forcer un deuil, ou vouloir l’accélérer : le processus doit pouvoir se dérouler naturellement, et il n’est pas identique d’une personne à l’autre.
Le deuil n’est pas une maladie, ce n’est pas une dépression. Même le DSM-5, qui est la référence en psychiatrie (il s’agit d’un manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), a cru bon de le préciser : "le deuil se différencie de la dépression du fait que le deuil se manifeste par vagues d’émotions, tandis que la dépression majeure est caractérisée par une humeur négative constante. Dans le cas du deuil, la personne endeuillée conserve habituellement une estime de soi positive et les réactions qui accompagnent le deuil sont reliées à la perte d’un être cher, tandis que la dépression englobe une perception négative de soi beaucoup plus vaste ".
En ce sens, il n’a, sauf cas très exceptionnel, pas besoin d’être accompagné de médicaments.
Le "travail de deuil"
Le travail de deuil est une expression crée par Sigmund Freud dans son article "Deuil et mélancolie", qu’il a rédigé en 1917. Il s’agit du processus intrapsychique qui suit la perte d’un être cher ou d’un objet d’attachement important.
Dans cet article, Freud observe la grande dépense d’énergie que nécessite l’acceptation que l’ « objet » aimé n’existe plus. Il ne détaille pas les étapes comme nous le verrons plus loin, mais il souligne que, "au terme du travail du deuil, le moi [est ] de nouveau libre et désinhibé".
Il est très important de noter qu’il s’agit d’un processus, et que sa durée n’est pas établie dans le marbre. Il est même parfois observé que certaines personnes n’en sortent jamais.
Les étapes du deuil
La psychiatre et psychologue américaine Elisabeth Kübler-Ross (1926-2004) a travaillé toute sa vie sur l’accompagnement des mourants et a rédigé de nombreux ouvrages sur ce sujet. L’une de ses découvertes majeures est l'identification et la formalisation des étapes du deuil que traverse l’individu confronté à la perte d’un être cher ou à l’imminence de sa propre mort. Elles sont au nombre de cinq (mais ce nombre est discuté) :
1 - Choc et déni
La personne éprouve un choc à l’annonce de la perte, une sidération. C’est une étape qui peut durer plusieurs minutes, comme plusieurs jours, mais rarement plus d’une semaine.
Le choc est un mécanisme de défense inconscient envers une situation qu’une personne pense ne pas pouvoir gérer. Lors de cette phase, la personne nie l’information reçue, pense qu’elle rêve et ne supporte pas qu’on la ramène à la réalité, la douleur étant insupportable.
La personne est simplement incapable d’accepter la réalité, elle est dans le refus de la perte. Elle se sent souvent figée, elle n’arrive pas à réagir. Elle est dans une attitude de déni, parfois le comportement est hébété. La personne en état de choc n’est plus capable d’effectuer les tâches les plus simples et les décisions de bases.
2 - La colère
La colère reflète le sentiment d’injustice légitime que la personne ressent face à ce qui lui est arrivé. Elle choisit parfois inconsciemment de dévier cette colère sur une personne désignée comme responsable de la perte.
La colère peut se manifester à l’égard de différentes personnes :
Contre soi-même;
Contre le médecin qui accompagnait le défunt;
Contre le conjoint qui a souhaité divorcer...
La colère est très vive, elle prend presque une forme de révolte proche de la rage, et s’associe généralement à un fort sentiment de culpabilité. Typiquement, dans cette phase, la personne va avoir des pensées comme : "J’aurais pu faire ceci" ou "J’aurais dû faire cela pour empêcher la perte de cet objet".
3 - La négociation
C’est une étape de marchandage avec soi-même, ou avec des instances (souvent) divines. Cette phase peut prendre la forme d’une discussion intérieure, avec des pensées de type : "Je veux donner ma vie en échange de la sienne" ou "Je promets de changer et d’être une meilleure personne si vous la laissez revenir".
La situation restant difficile à admettre telle qu’elle est, l’individu cherche alors un moyen de compenser, d’éviter ou d’inverser l’événement. Il est en quelque sorte prêt à tout pour apaiser la douleur.
C’est une période de très grande vulnérabilité.
4 - La tristesse : dépression et douleur
Ici, la personne accepte la perte et ses conséquences apparaissent concrètement.
C’est une phase centrale et particulièrement importante. C’est aussi celle qui peut durer le plus longtemps.
Dépression, perte de moral, tristesse, la personne en deuil est au désespoir et éprouve une douleur profonde. Cela va se mélanger à une forme de pessimisme, comme si après la perte plus rien ne vaut la peine d’être vécu. La nostalgie et l’impuissance sont souvent présentes. La personne va s’isoler, pleurer énormément. Son chagrin est à son paroxysme. Elle peut aussi exprimer des symptômes d’anxiété, des troubles du comportement alimentaire, du sommeil, ou encore des peurs irrationnelles.
C’est une phase de découragement, tout-à-fait normale. La tristesse est intense, proche du désespoir et d'un état mélancolique. La personne se sent souvent seule, à la recherche de repères qu’elle ne possède plus. C’est lors de cette phase de tristesse que la perte va être enfin totalement intégrée, d’où l’importance de ne pas lutter contre et d’accueillir toutes les émotions qui naissent, même les plus douloureuses.
Pendant cette période dépressive, il est tout à fait normal d’avoir l’impression d’avancer, voire même d’être sorti.e de la souffrance quand, tout à coup, surgit une nouvelle phase de tristesse, parfois plus intense que la première.
En fait, cette dépression est le signe d’une amélioration psychique face au deuil. C’est un moment structurant du processus de deuil.
5 - L'acceptation
C’est la dernière étape. La personne accepte le fait que la réalité ne puisse être changée.
Peu à peu, tous les intérêts de la vie quotidienne vont se réinstaurer doucement : la personne endeuillée va réussir à investir de nouveaux objets, de nouvelles relations et avoir la capacité de se souvenir de la perte, de l’objet perdu, sans douleur, sans affliction.
La phase d’acceptation est ressentie lorsque l’individu endeuillé a pleinement conscience de la perte. Aussi, l’organisation de la vie est de nouveau possible, il s’agit de la reconstruire entièrement et volontairement. Cette phase place le deuil dans une orientation positive, la personne se projette dans l’avenir. La résilience développée pendant tout ce travail de deuil conduit généralement à un renouveau.
Il est à préciser que ces étapes ne sont pas "obligatoires" ; il s’agit surtout d’un concept. Le deuil est un processus intime et personnel. Chacun le vit selon sa personnalité et la qualité du lien particulier qu’il avait avec l’être ou l’objet aimé. Certaines personnes ne vivent que certaines de ces étapes, d’autres le font dans le désordre… De plus, il faut bien prendre en considération que le processus n’est pas linéaire et évolue au cours du temps : il peut y avoir retour à une étape qui semblait passée, voire même possibilité de vivre plusieurs étapes en même temps (par exemple la colère et la dépression).
Le temps long du deuil
La durée du deuil n’est pas standard ou définie ; en effet elle est fonction de chacun. Elle est aussi fonction de la culture, du milieu social, des circonstances du décès, du lien…
La douleur “normale” qui accompagne la mort d’un proche peut être très intense.
Il convient de laisser se dérouler le processus sans trop intervenir, en particulier par des discours de type "il faut que"… Assurer la personne endeuillée de sa présence chaleureuse, éventuellement tendre une oreille compatissante à ses souvenirs douloureux, c’est bien tout ce que l’on peut faire pour tenter de soulager la douleur.
Contrairement à ce que les étapes citées ci-dessus pourraient laisser penser, le deuil n’est pas non plus un processus linéaire. Parfois, même quand il semble que la phase 5 est arrivée, d’autres phases ressurgissent sans crier gare : des crises de chagrin, des coups de colère, l’impression que ce n’est pas vrai, etc. Les dates anniversaires, certains évènements particuliers, une photo, une chanson, peuvent cruellement raviver la douleur de l’absence et provoquer des épisodes plus ou moins brefs de chagrin.
Généralement, cependant, au bout d’un certain temps (différent selon chacun, selon chaque circonstance), il va arriver un moment où le psychisme de l’endeuillé devra choisir entre retourner vers la vie et donc accepter une sorte de rupture avec "l’objet" (quel qu’il soit) perdu ou bien le suivre dans la mort. Cela peut s’observer, en particulier dans des "vieux" couples où le décès de l’un d’eux n’est pas tolérable à l’autre – à ce moment-là, on constate que le deuil n’est pas possible.
Le deuil n’est pas l’oubli
Il ne faut pas imaginer que le processus de deuil vous fera oublier le disparu. Jamais il ne sera oublié. Mais progressivement (et avec parfois des rechutes dans le chagrin), la situation commencera à vous faire un petit peu moins mal, et les bons souvenirs pourront prendre le dessus par rapport à la souffrance de la perte.
Que faire lors de ce processus de deuil ?
Il n’est pas facile de dispenser des conseils dans un tel cas, car chacun réagit différemment.
Voilà cependant une petite liste de choses qui peuvent vous aider (liste non exhaustive, bien sûr) :
- Exprimer ses émotions
Dans ces circonstances comme dans d’autres, il est très important d’être à l’écoute de ses émotions et de les laisser s’exprimer. C’est un besoin physiologique de votre corps que de laisser couler les larmes ou crier sa colère.
Agnès Ledig : "Quand le chagrin est trop fort, il faut le jeter dehors. Les larmes sont là pour ça. "
- Partager son chagrin
Il est bien rare que l’on soit le seul à avoir du chagrin lorsque l’on perd un être cher. Se prendre dans les bras, pleurer ensemble, sentir comme les peines sont sœurs peut être apaisant car cela lutte contre le sentiment de solitude de la perte.
- Parler
Evoquer le défunt, les souvenirs que vous en avez, le lien qui était le votre avec lui… C’est faire perdurer sa vie, lui rendre hommage pour ce qu’il vous a apporté, lui permettre de vous faire de nouveau sourire ou être reconnaissant.
Si vous avez besoin particulièrement d’être accompagné dans ce processus, il existe des groupes de parole autour de ce thème. Voyez ce qui existe près de chez vous.
- S’exprimer via des activités artistiques
Il est parfois plus facile d’exprimer ses émotions par le biais de la créativité. Dessiner, peindre, faire de la musique, écrire… Tout moyen d’expression peut être souverain.
- Ne pas abuser de certaines substances
On peut ressentir le besoin de faire cesser la souffrance par le recours à une consommation excessive d’alcool, de médicaments, de drogues diverses… Il convient de se méfier de ces substances, qui ne soulagent que temporairement et ont des effets nocifs sur la santé et l’humeur.
- S’organiser des moments de détente
Des séances de massage, des sorties avec des amis, un voyage, etc… Il est possible que cela ne soit pas trop votre envie sur le moment, mais cela ne pourra que vous faire du bien.
Ces temps sont des moments délicats. Prenez bien soin de vous ; vous en sortirez plus forts !
Le travail de deuil permet de sortir de la souffrance de la perte.
Luce Barrault
Novembre 2023
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