L’ikigai est un concept japonais que l’on pourrait traduire par « raison d’être », ou, plus prosaïquement, "pourquoi on met son pantalon le matin" (oui, mais avec enthousiasme), comme disait un ancien collègue… C’est ce qui nous mobilise profondément à nous lever pour vivre la journée qui s’annonce. C’est ce qui correspond intimement à ce qui donne du sens à notre propre existence.
L’ikigai prend ses racines dans la tradition japonaise, et ne peut se comprendre totalement qu’en se référant à elle. On peut cependant assez facilement s’en inspirer pour tenter de donner une profondeur à sa vie.
C'est un cheminement personnel où l'on explore plusieurs dimensions liées à nos intérêts profonds, nos talents innés, l'harmonie personnelle, le sens de la contribution, nos valeurs, etc,. pour trouver une activité qui résonne avec notre être authentique. Et cela va bien au-delà du simple fait de faire ce que l'on aime ou ce dans quoi l'on excelle, puisque ça englobe également l'importance de contribuer positivement à la société et de trouver un équilibre entre les aspects personnels, professionnels et sociaux de notre existence.
Ressentir son ikigai permet d'expérimenter un sentiment de plénitude, de vivre en harmonie avec soi-même et ce qui nous entoure.
Exemples d’ikigai
“Trouver son ikigai”, dans la conception traditionnelle japonaise, signifie cultiver sa raison d'être profonde au travers d’une activité (professionnelle ou non) qui donne un sens et une satisfaction à sa vie
Voici quelques exemples simples d'ikigai selon la conception traditionnelle japonaise :
· Un grand-père pratique son ikigai en partageant ses connaissances et expériences avec ses petits-enfants. Ainsi, il nourrit le lien intergénérationnel et transmet des valeurs familiales importantes pour lui.
· Un enseignant découvre son ikigai en aidant ses élèves à développer leurs talents et à atteindre leur plein potentiel. Il contribue ainsi à la formation de la prochaine génération en en retirant un plaisir et un épanouissement total.
· Un artisan va consacrer sa vie à créer des pièces d'art uniques à partir de techniques traditionnelles transmises de génération en génération. Ainsi, il préserve le patrimoine culturel tout en déployant sa créativité joyeuse et en offrant aux autres quelque chose qui relève de la beauté intemporelle.
· Un bénévole trouve son ikigai en aidant les personnes défavorisées : en y consacrant du temps et des ressources, non seulement il améliore leur quotidien, mais aussi il génère un sentiment de satisfaction en lui.
· Un jardinier cultive de beaux espaces verts en harmonie avec la nature, créant ainsi un espace de beauté et de tranquillité où les autres peuvent se ressourcer et se connecter avec l'environnement.
Ces exemples illustrent comment l'ikigai peut être trouvé dans des domaines très variés de la vie quotidienne. L’ikigai apporte un sentiment de satisfaction personnelle tout en contribuant au bien-être des autres et de la société dans son ensemble.
Les origines ancestrales de l’ikigai
Cette philosophie de vie a son origine dans l’île d’Okinawa. Les habitants de cette île sont mondialement connus pour leur qualité de vie et leur très grande longévité – on pourrait d’ailleurs soupçonner qu’il y a une relation de cause à effet entre les deux.
Le mot ikigai est composé du verbe ikiru et du suffixe gai. Ikiru signifie "vivre" et gai signifie "valeur". Combiné à ikigai, le mot signifie donc "la valeur de la vie". Ce que l’on met facilement en relation avec trouver du sens dans sa vie… (un concept qui m’est cher, vous le savez maintenant).
Mais ce n'est pas tout : l'origine du mot ikigai remonte à la période Heian (794 à 1185 ap. J.-C.). Selon les linguistes et experts japonais de l'évolution de l'ikigai, le mot "gai" vient en fait du mot "kai" qui se traduit par "coquillage" en japonais. Au cours de la période Heian, les coquillages avaient une grande valeur, de sorte que l'association de la valeur est toujours inhérente à ce mot. On la retrouve également dans des mots japonais similaires comme hatarakigai (働きがい), qui signifie la valeur du travail, ou yarigai (やり甲斐がある), qui signifie "cela vaut la peine de le faire".
Bien évidemment, même si nous ne sommes pas de tradition japonaise, rien ne nous empêche de nous inspirer de cette culture pour tenter de voir ce qui pourrait nous permettre d’avoir une vie avec plus de sens.
En fait, l’ikigai se ressent plus qu’il ne se trouve.
Ikigai et coaching professionnel
La notion d’ikigai se retrouve souvent dans le milieu du coaching professionnel. Il est très souvent expliqué par ce schéma :
Dans ce contexte, il est expliqué de la façon suivante :
La méthode repose sur 4 questions :
- qu’est-ce que vous aimez faire ? (= le plaisir)
- pour quoi êtes-vous doué ? (= le talent)
- de quoi le monde a-t-il besoin ? (= le besoin)
- pour quoi pouvez-vous être payé ? (= les revenus)
A la rencontre de ces 4 questions apparaissent 4 composantes :
- votre passion : l’activité que vous affectionnez particulièrement
- votre mission : l’activité que vous choisissez d’exercer et qui va permettre de contribuer au monde
- votre profession : l’activité rémunérée que vous exercez et qui va vous permettre de gagner votre vie
- votre vocation : l’activité que vous êtes naturellement destiné à exercer.
Au croisement de toutes ces dimensions se trouve ce que les coachs appellent l’ikigai : l’activité qui combine les points forts de chaque cercle de la rosace.
Ce schéma est intéressant dans le sens où il permet de prêter la même attention à chaque dimension. Il s’agit donc de choisir sa profession en fonction d’un équilibre complet entre ce que l’on aime faire, de pourquoi on est doué, ce dont le monde a besoin et ce qui permet d’être payé.
Mais en fait, ce diagramme est un plagiat d’un modèle distinct de l’ikigai traditionnel. Ce modèle est connu sous le nom de "purpose" et a été développé par Marc Zuzunaga. Il correspond à une branche très étroite de l’ikigai, qui se rattache dans son entièreté à des aspects culturels et philosophiques japonais bien plus étendus.
Néanmoins, je trouve intéressant l’exercice consistant à s’interroger sur chacune de ces sphères, voire de tenter de compléter le schéma vide :
Prenez une feuille de papier et notez :
- ce que vous aimez faire, ce qui vous rend enthousiaste : vos centres d’intérêt profonds (par exemple le sport, la photographie de nature, la gastronomie italienne, le dessin de mangas, l’archéologie, etc.).
Pour définir ce que vous aimez, demandez-vous : quelles activités (personnelles et professionnelles) me procurent véritablement de la joie, du bien-être, voire un sentiment d’accomplissement ? Quelles sont celles qui me font perdre la notion du temps ? Dans une journée idéale, comment occuperais-je mes journées ?
- ce pour quoi vous êtes doué, les activités que vous réalisez et qui vous paraissent simples : vos compétences, vos forces, vos qualités en tant que personne. Peut-être d’autres personnes ont pu vous faire remarquer un talent particulier que vous possédez sans que cela ne vous semble exceptionnel, alors que cela l’est pour eux ?
Pour identifier votre vocation, vous pouvez vous poser les questions suivantes : quelles sont les compétences dans lesquelles j’excelle assez naturellement ? Quels sont mes talents innés qui me permettent de créer de la valeur ? Dans les yeux de mes proches, quelles sont mes plus grandes forces ou mes plus belles compétences ? Quelles sont les domaines dans lesquels je réussis dans la vie ?
- ce dont le monde a besoin : cette partie s’attache à rassembler ce qui est important pour vous dans le monde et dans la société (par exemple, le manque d’accès à l’éducation, le droit des femmes, la protection de l’environnement, etc.).
Pour réfléchir sur votre mission de vie, vous pouvez vous poser les questions suivantes : quels sont les problèmes présents dans le monde ? Et quels sont ceux qui me touchent profondément ? Quelles sont mes valeurs de vie ? Comment puis-je contribuer, à mon échelle, à rendre la vie des autres meilleure ?
- Ce pour quoi vous pouvez être payé. Là, l’idée est de réfléchir à ce qui vous permet de gagner votre vie, et aussi comment vous pourriez optimiser vos revenus, chercher d’autres manières de faire fructifier vos compétences (par exemple, le développement web, le coaching bien-être, la création de bijoux, etc.)
Pour identifier vos compétences, vous pouvez vous poser des questions de type : quelles sont ces compétences professionnelles que j’ai pu développer au fil du temps et de mes expériences ? De quelle manière puis-je les mettre à profit pour gagner ma vie ? Comment puis-je évoluer professionnellement dans les prochains jours, mois ou années?
Cet exercice peut être intéressant au niveau professionnel, mais je vous rappelle que l’ikigai est plus vaste que cela, qu’il peut concerner tous les aspects de la vie.
Les 5 piliers de l'ikigai
L’ikigai repose sur 5 grands piliers, directement liés à la culture et à la philosophie japonaises. Ces piliers peuvent guider votre réflexion en créant votre ikigai, l'affiner ou simplement vous permettre de voir la vie sous un autre angle.
Premier pilier : commencer petit
Cette première approche de l’ikigai encourage à découper nos grands objectifs en actions plus petites et donc plus atteignables. Les japonais apprécient la méthode "des petits pas" (kaizen).
En regardant un objectif qui nous paraît être très lointain ou très ambitieux, on peut vite se sentir découragé. Pour éviter cela, commencer petit est une bonne option, afin de décomposer nos actions en étapes. Ainsi, l’objectif paraît plus facilement atteignable. Les avantages sont nombreux : exploration par étapes, réduction de la peur de l’échec et amélioration de l’estime de soi.
Deuxième pilier : se libérer soi-même
En réfléchissant à son ikigai, on se rapproche de nos valeurs, de nos aspirations de vie. Cela permet d’identifier ce qui compte pour nous, et de cheminer vers la connaissance de nous-même.
Troisième pilier : trouver l’harmonie
L’ikigai est très lié à la notion d’harmonie. Il s’agit de trouver un équilibre de vie durable et épanouissant sur le long terme, en trouvant un sens à notre vie. Être en harmonie avec nous-même et avec notre propre environnement contribue à l’épanouissement personnel.
Quatrième pilier : apprécier la joie des petites choses
L’ikigai peut permettre de retrouver la joie dans les petits bonheurs de la vie. En sachant ce qui nous anime, même les petites réalisations peuvent nous apporter une satisfaction quotidienne et une certaine fierté. Par exemple, pratiquer 15 minutes de yoga quotidiennement, raconter une histoire à son enfant le soir, s’accorder des pauses lecture... Créer son ikigai permet d’apprécier l’instant présent et de retrouver des plaisirs simples.
Cinquième pilier : être dans l’ici et le maintenant
L’ikigai nous aide à nous ancrer dans le présent. Ce cheminement de pensée encourage la pleine conscience chaque jour et l’épanouissement personnel. Il présente ainsi de nombreux avantages : réduction du stress, renforcement de la connexion avec soi-même, de la concentration…
Les avantages de la pratique de l'ikigai
Ainsi, l’ikigai influe positivement sur plusieurs aspects de la vie :
Pour améliorer la qualité de vie
L’ikigai améliore considérablement la qualité de la vie, en la rendant plus épanouissante car remplie de sens. Il donne une direction et un chemin en nous aidant à identifier ce qui est important pour nous.
Nos choix de vie sont plus alignés avec nos aspirations, nos passions, nos valeurs les plus profondes. Nous devenons ainsi l’acteur de notre propre épanouissement.
Pour améliorer la confiance en soi
L’ikigai, en nous aidant à mieux connaître nos forces et nos faiblesses, permet d’adapter au mieux nos actions quotidiennes. Nos actions reposent ainsi sur un socle solide qui développe la confiance en soi. Le socle de l’ikigai permet de considérer défis et opportunités comme une démarche de développement personnel.
C’est un cercle vertueux : comme nos actions sont liées à nos aspirations, nous nous sentons épanouis, confiants, satisfaits, et cela nous donne de la force pour de nouvelles actions.
Pour améliorer son bien-être et sa santé mentale
L’ikigai, vous l’avez compris, est un outil précieux pour favoriser le bien-être. Le sentiment de satisfaction et de paix intérieure développé par la découverte et la vie à travers son ikigai améliore à court et à long terme la santé mentale. En effet, de cette façon, on élimine le stress lié à des choix de vie incompatibles avec nos aspirations, stress qui nous échappe parfois tant nous sommes dans les injonctions de l’environnement. En revenant à notre ikigai, on revient à soi-même.
Trouver le sens de sa vie, comme le propose la pratique de l’ikigai, aide à prendre soin de son bien-être psychologique. C’est ce qu’une étude a montré ( “On the relation between meaning in life and psychological well-being - British Journal of Psychology” (Zika, S., & Chamberlain, K.,1992). ) - cependant, a-t-on vraiment besoin d’une étude pour comprendre que vivre selon ses valeurs et ses aspirations permet un épanouissement ??
Vivre selon son ikigai, c’est :
- des nuits de sommeil paisibles et réparatrices, car nous faisons ce que nous aimons et notre esprit est serein,
- une énergie débordante qui nous anime chaque jour, car nous sommes inspirés par notre ikigai et nous ressentons une motivation profonde,
- une meilleure santé mentale, avec une réduction du stress, de l’anxiété et de la dépression, car nous sommes en harmonie avec notre véritable essence,
- une productivité accrue grâce à notre engagement total dans les activités qui nous passionnent,
- une résilience renforcée pour faire face aux difficultés, car notre ikigai nous donne une raison profonde d’être et de persévérer,
- des relations enrichissantes avec des personnes partageant les mêmes valeurs et aspirations,
- une stimulation de notre créativité, car nous libérons notre imagination pour apporter des solutions novatrices,
- un sentiment d’accomplissement profond, puisque nous donnons un sens à notre existence et contribuons à quelque chose de plus grand que nous,
- une vie remplie de sens et de valeurs profondes, où chaque jour est vécu avec un sentiment de mission personnelle.
Sans doute pourrait-on continuer longuement cette liste, mais vous l’aurez compris : vivre selon son ikigai n’a que des avantages !!
L’ikigai au long de la vie
Il ne s’agit pas de considérer l’ikigai comme figé, immuable, exactement identique tout au long de notre vie. Sans doute existe-t-il un « noyau » de notre ikigai, mais il évolue sur certains aspects au fil du temps. Nos envies peuvent changer, nous pouvons découvrir de nouveaux intérêts – en changeant comme nous l’offre le fil de la vie, notre environnement peut nous offrir de nouvelles opportunités de découvrir des aspects de nous que nous ne soupçonnions pas. Mais ce « noyau » de notre ikigai permet d’avoir un fil conducteur.
Ikigai, "flow", et études scientifiques
En fait, lorsque nous suivons notre ikigai, nous ne sommes pas loin d’un concept que le psychologue Mihaly Csikszentmihalyi nommait l’état de flow.
Le flow (terme anglais que l’on pourrait traduire par flux ou expérience optimale) est un état intérieur porteur que l’on atteint lorsqu’on est complètement plongé dans une activité et que nous nous trouvons dans un état maximal de concentration, de plein engagement et de satisfaction dans notre engagement.
Dans cet état, la notion de temps s’efface, de même que celle de tout ce qui nous entoure.
Mihaly Csikszentmihalyi a montré que dans cet état, notre créativité est amplifiée, notre productivité augmentée et nous éprouvons un profond sentiment de réalisation, parce que nous ressentons une harmonie profonde entre nos talents et les tâches que nous accomplissons.
Par ailleurs, le neuroscientifique Marcus Raichle a découvert que lorsque nous sommes engagés dans des activités qui correspondent à nos talents naturels, notre cerveau est activé de manière optimale : les régions de notre cerveau responsables de la créativité, de la résolution de problèmes et de la prise de décision sont stimulées, ce qui favorise notre performance et notre productivité (https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rstb.2014.0172). Et j’ajouterais : notre plaisir !
Une autre étude du psychologue Carol Dweck (Dweck & al., 2014) sur l’état d’esprit de “croissance” (Growth Mindset en anglais) montre encore que les individus qui croient en la capacité de développer leurs talents et leurs compétences ont tendance à réaliser de meilleures performances et à surmonter les obstacles avec résilience (https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00461520.2012.722805). Et j’ajouterais : à être plus épanouis !
Il y aurait possibilité de citer encore d’autres études, mais on pourrait en faire le résumé suivant : l’expérience empirique et la science se rejoignent pour témoigner du fait que vivre son ikigai, c’est vivre plus, c’est vivre mieux !!!
L'ikigai nous rappelle que nous avons tous le pouvoir de créer une vie remplie de joie et de sens.
Luce BARRAULT
Juillet 2024
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