La psychothérapie est un travail sur soi qui s’adresse à des personnes en souffrance psychique, en vue de lever cette douleur (par rapport à cette question, vous pouvez vous référer à l'article "qu’est-ce qu’une psychothérapie?" de ce même blog). Il n’y a donc aucune raison que les personnes en situation de handicap n’en aient pas autant besoin que les autres.
Reste à savoir si elle est ouverte à tous les handicaps.
Nous savons que les psychothérapies s’appuient très fréquemment sur la parole. Elles visent à une mise en conscience (pour une connaissance de soi, pour une exploration des phénomènes inconscients, pour tenter d’éclairer ce qui semble obscur) et pour cela, le langage est le moyen privilégié. Parler, c’est objectiver et symboliser le vécu (les pensées, les sentiments, les émotions), c’est prendre de la distance par rapport aux ressentis, et c’est aussi être entendu (par le thérapeute), être reconnu. Alors, comment faire une psychothérapie quand on souffre d’aphasie ?
1 – Qu’appelle-t-on aphasie ?
Il s’agit d’une absence de l’expression (ou de la compréhension) du langage parlé.
(Elle peut aussi concerner le langage écrit, mais nous n’en parlerons pas dans cet article).
Les causes de l’aphasie sont essentiellement neurologiques - lésions cérébrales, paralysie cérébrale (IMC, IMOC, polyhandicap) – mais on peut aussi la rencontrer dans l’autisme ou dans certains troubles psychiatriques ou du développement mental.
2 – Handicap de parole « de naissance » et handicap de parole « acquis »
J’appelle handicaps "acquis" les handicaps survenant après une période de vie sans eux. L’acquisition du handicap peut se faire via un accident (de la voie publique, domestique, professionnel, du sport…) ou un problème physique (accident vasculaire cérébral, tumeur cérébrale, maladie dégénérescente, etc.), mais auparavant, la personne était en pleine possession de ses moyens, le langage s’était développé correctement dans l’enfance, elle avait pu manier les concepts grâce à lui et ses capacités cognitives s’étaient développées de concert.
Le handicap "de naissance" concerne celui touchant les personnes qui se sont développées avec dès le début de leur vie, par exemple les personnes avec autisme et paralysie cérébrale : celles qui naissent avec le handicap déjà présent. Pour elles, les accès à la conceptualisation, la symbolisation, la réflexion, se font différemment.
Vivre sa vie d’humain est compliqué, c’est une certitude. C’est aussi souvent douloureux.
Vivre sa vie d’humain avec handicap est encore plus compliqué, c’est une certitude encore plus évidente. Le monde n’est pas adapté à une personne handicapée ; la personne handicapée est sans cesse rappelée au fait qu’elle est « empêchée ». Je parle à présent du handicap dans sa forme générale, pas seulement au niveau du langage parlé. Il existe bien sûr toutes sortes de handicaps, moteurs, sensoriels, intellectuels, psychiques ; ils sont d’origines diverses, avec des conséquences multiples. Le handicap crée une souffrance particulière, qui se surajoute aux souffrances que peuvent avoir les personnes valides. Ne pas pouvoir marcher est particulièrement douloureux, c’est une dimension d’humanité qui peut être ressentie comme retirée. Ne plus pouvoir coordonner ses mouvements est terriblement gênant dans de multiples activités de la vie quotidienne. Ne plus maîtriser ses sphincters peut être ressenti comme très humiliant. Ne plus entendre, ne plus voir, ne plus sentir, sont des situations terribles pour bien des personnes dans ces situations.
La souffrance du handicap est une souffrance qui doit pouvoir se dire et être entendue au même titre que les autres souffrances. Les personnes dans ces situations doivent pouvoir mener à bien une psychothérapie, car elles peuvent en avoir besoin.
3 – Psychothérapie avec une personne souffrant d’aphasie acquise
Dans le cas, d’une survenue de l’aphasie au cours de la vie, il va s’agir de trouver un moyen pour contourner l’impossibilité d’avoir accès au langage oral pour la personne.
- Lorsque cela est possible, le recours au langage écrit est une voie royale. C’est de loin la meilleure, car il offre toutes les possibilités du langage oral. Il s’appuie sur un apprentissage déjà réalisé et ne demande pas un effort cognitif important. Il est juste un peu plus lent, mais il a l’énorme avantage de pouvoir être conservé et relu. Le travail, dans ce cas, ressemble beaucoup à un travail « classique » en thérapie.
- L’accès au langage écrit n’est pas toujours possible. On peut alors passer à des méthodes alternatives, qui vont demander un effort cognitif plus important :
- Lorsque les capacités cognitives le permettent, et si les capacités physiques sont préservées, un apprentissage de la langue des signes (LSF) peut être réalisé. Cela est assez long et demande à ce que le thérapeute soit formé à la compréhension de celle-ci.
- On peut aussi passer à des moyens de type tableau de communication, tablette avec synthèse vocale, ou même psychophanie (pour cette dernière méthode, voir le paragraphe ci-dessous).
En ce qui concerne les tableaux de communication, que ceux-ci soient sur papier ou sur un moyen informatique de type tablette (ou même smartphone), éventuellement couplés à une synthèse vocale, il s’agit d’utiliser des images pour représenter des concepts. Par exemple, une pomme sera représentée par le dessin ou la photographie d’une pomme. Si cela est assez facile pour les objets de la vie courante ou même les verbes d’action, on rencontre assez vite les limites de ce système : au niveau de l’image elle-même (tous les mots ne sont pas évidents à symboliser de façon picturale!) mais aussi au niveau du nombre de concepts à représenter, du système de classement pour les retrouver vite, de la suite dans les idées qu’il faut avoir pour construire une phrase, etc.
4 – Psychothérapie avec une personne souffrant d’aphasie de naissance
Un enfant qui n’a pas accès à un langage parlé ne se développe pas de la même façon qu’un enfant pouvant parler. Les capacités cognitives sont entravées dans leur évolution par cette absence.
Cependant, en même temps, il semblerait que ces enfants soient au plus près de leur "conscience transcendante, selon le terme utilisé par Geneviève François. Pour nous éclairer, voici ce qu’elle écrivait dans le numéro 22 de la revue Psychanamour (Mars 2000) :
"Les personnes handicapées nous font découvrir que les êtres humains ont tous deux modes de conscience à leur disposition ; une conscience cérébrale, liée au fonctionnement du cerveau, et une conscience que nous appellerons transcendante car elle est d’une autre nature que la conscience cérébrale. A la naissance, la conscience transcendante se met en veilleuse pour nous permettre de nous installer dans notre conscience cérébrale, ceci afin que nous puissions appréhender le monde dans lequel nous arrivons. Plus une conscience a besoin de « place », plus l’autre se met en retrait. Si bien que les êtres qui sont empêchés d’entrer en possession de leur conscience cérébrale fonctionnent sur le mode de leur conscience transcendante".
C’est cette conscience transcendante qui s’adresse à nous lorsque nous discutons avec les enfants polyhandicapés ou autistes via la communication facilitée ou la psychophanie (cf page "La psychophanie")
C’est ainsi que nous pouvons expliquer cette distorsion qui semble exister à nos yeux entre les propos parfois très sages de ces enfants (ou adultes devenus) et l’image de personnes complètement inadaptées à notre monde.
La psychophanie est donc un moyen privilégié pour mener une psychothérapie avec eux.
Bien sûr, là aussi, il y a possibilité d’utiliser un système de communication alternative de type tablette numérique ou tableau de pictogrammes. Les difficultés notées dans le chapitre précédent (nombre, rangement…) s’ajoutent à celles de l’apprentissage. Des systèmes de type LSF, simplifiés ou pas, ou associés à des pictogrammes (je pense au système Makaton) sont aussi possibles, avec toujours le pré-requis de la formation du thérapeute afin qu’il puisse comprendre ce que dit la personne.
Il n’est bien sûr possible d’utiliser un tel moyen avec ces personnes que lorsqu’elles l’utilisent déjà de façon maîtrisée dans leur vie quotidienne.
Toute personne humaine doit avoir la possibilité de suivre une psychothérapie.
Même avec un handicap.
Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez me contacter : lucebarrault@gmail.com
Luce Barrault
Mars 2023
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