
Nous sommes en plein bouleversement écologique et climatique. Cette réalité prend divers visages peu réjouissants : sécheresses, inondations, tempêtes, incendies, chute (ou plutôt dégringolade) de la biodiversité, etc. Notre biosphère est sérieusement menacée.
Face à cette réalité, plusieurs réactions peuvent s’observer :
- le déni : c’est la position des climato-sceptiques. Dans cette catégorie, on observe des personnes qui nient le changement climatique, et d’autres qui, tout en reconnaissant la réalité de celui-ci, nient la responsabilité de l’humain. Ce mécanisme de défense est parfois à rattacher avec la peur de perdre tout un système de valeurs, qu’elles soient personnelles ou autres, économiques par exemple (lobbys pétroliers, sociétés de transport, producteurs de viande, etc.).
- l’évitement : sans nier ces bouleversements, il consiste à refuser de penser à la situation. Ainsi, le risque d’une catastrophe environnementale est évacué (consciemment ou inconsciemment).
- la colère, en lien avec un sentiment d’injustice, s’observe surtout dans la jeune génération qui considère avoir à payer les inconséquences des actes de leurs aînés. Une illustration célèbre est le discours de Greta Thunberg aux nations Unies le 23 septembre 2019 :
"Comment osez-vous ? Vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos paroles creuses. Les gens souffrent, les gens meurent. Des écosystèmes entiers s'effondrent, nous sommes au début d'une extinction de masse et tout ce dont vous pouvez parler, c'est de l'argent et du conte de fée d'une croissance économique éternelle."
- l’abattement ou le découragement sont souvent des réactions devant l’aspect démesuré de la situation, en lien avec des sentiments d’impuissance et de fatalisme. C’est à ce niveau que se situe l’éco-anxiété.
Qu’est-ce que l’éco-anxiété ?
L’éco-anxiété est un terme apparu en 1997 sous la plume de Véronique Lepaige, enseignante-chercheuse canadienne et belge. L’American Psychological Association (APA) a défini l’éco-anxiété comme "a chronic fear of environmental doom", c’est-à-dire la peur chronique d’une catastrophe environnementale. Il décrit ce sentiment d’intense préoccupation, de vigilance, d’impuissance, d’inquiétude, face à ces bouleversements écologiques.
Un "éco-anxieux" ou une "éco-anxieuse" développe une inquiétude face aux catastrophes écologiques annoncées : dérèglement climatique, perte de la biodiversité, pollution, déforestation…
C’est une anxiété par anticipation, née de la prise de conscience des impacts à court et à long terme du changement climatique, et nourrie par les différents scénarios établis par des scientifiques - comme ceux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) - et par le constat que des évènements liés à ce dérèglement climatique sont déjà observables.

Et la solastalgie ? Qu’est-ce que c’est ?
La solastalgie est un néologisme utilisé pour la première fois en 2003 par le philosophe de l’environnement Glenn Albrecht . Il traduit un malaise, une douleur, face à ce qui est perdu.
Elle est donc liée au passé, alors que l’éco-anxiété est plutôt liée à l’avenir.
Mais éco-anxiété et solastalgie se conjuguent : nous savons que le monde que nous avons connu jusque là est fini, mais nous ne savons pas de quoi l’avenir sera fait. En cela, toutes les inquiétudes sont possibles.
Inquiétude, peur, anxiété, angoisse ? De quoi est-il question dans l’éco-anxiété ?
Ces différents termes représentent comme des gradients d’émotion face à une menace, allant d’un état de souci ordinaire (non pathologique) à un état où les limites du moi sont débordées, la personne se retrouvant alors sans ressources internes pour y faire face (générant un état de panique, de sidération).
L’éco-anxiété est une combinaison de tout cela : la prise de conscience, diffuse et continue, d’une menace qui n’est pas directement perceptible sous nos yeux mais dont les effets sont là.
L’objet de crainte est à la fois réel et objectif mais non immédiatement perceptible, car projeté dans un futur assez lointain et relativement informe.
La difficulté de se représenter ce futur catastrophique n’est pas pour rien dans cette anxiété. La catastrophe annoncée ne se présente pas comme un évènement unique et isolé provoquant le déclin de l’humanité, mais plutôt comme une succession d’évènements avec des conséquences dramatiques sur l’écosystème. Nous manquons cependant d’images claires pour nous imaginer ce futur, nous savons seulement qu’il sera dramatique.
Comment se manifeste cette éco-anxiété ?
Les symptômes sont multiples et variables selon les individus.
On peut retrouver :
- des troubles du sommeil (insomnies, difficultés à s’endormir)
- un sentiment d’angoisse, avec difficultés de respiration, sentiment d’oppression, incapacité à penser clairement
- des troubles anxieux (voir à ce sujet l'article sur l'anxiété de ce blog )
- une vision fataliste de l’existence, avec par exemple le souhait de ne pas avoir d’enfant.

L’éco-anxiété et les prises de conscience conjointes
Au-delà de sentiments tels que la culpabilité ou la peur, la prise de conscience de l’état catastrophique de notre écosystème est conjointe à d’autres prises de conscience :
1°) Nous sommes dépendants. Nous, c’est-à-dire les humains, toute l’espèce. Nous sommes dépendants de notre environnement. Il nous faut sortir de l’illusion que, omnipotents, omniscients, nous n’avons pas besoin de ce qui nous entoure et que la technologie nous sauvera toujours. Nous comprenons enfin que nous avons plus besoin d’une eau potable que de smartphones. L’autonomie totale est une utopie. Nous sommes bien obligés de descendre de notre piédestal dominant la Nature pour nous retrouver en son sein, à notre véritable place.
2°) Nos actions ont des conséquences. Depuis toujours, nous – nous, les humains des sociétés capitalistes – avons puisé sans vergogne dans les ressources de notre environnement et l’avons détruit pour notre usage personnel. Cela aurait pu être sans conséquences destructrices si nous nous étions limités à nos besoins de base : l’abri et le logement - comme les autres espèces animales, en somme, qui elles aussi puisent dans leur environnement de quoi subsister : pour ne prendre qu’un seul exemple, l’oiseau mange des graines et des insectes et récupère des brindilles et de la mousse pour fabriquer son nid. Il puise donc lui aussi dans les ressources de son environnement, mais cela est relativement sans conséquence. D’autant plus que chaque être ne fait pas que prendre à l’environnement, il donne aussi, et cela concourt à l’équilibre sur lequel repose la Nature. L’être humain prend trop, bien trop, par rapport à ce qu’il rend. Il a détruit l’équilibre.
3°) Cette catastrophe annoncée nous réunit. Il n’y a plus lieu là de rester divisés dans nos différences, quelles soient nationales, ethniques, religieuses, sociales, professionnelles... Nous retrouvons le groupe, le grand groupe des humains, uni dans un destin incertain. Nous sommes tous menacés, quelle que soit notre condition. C’est ainsi que les catastrophes que nous voyons à l’autre bout du globe terrestre ont des échos dans notre propre chair.
4°) Nous ne sommes pas éternels. L’humanité, sinon la vie, peut avoir une fin.
En fait, ces prises de conscience constituent une croissance de la conscience humaine. En ce sens, cette crise écologique est positive, car elle nous permet de grandir. Nous sortons du sentiment de toute-puissance, nous voyons enfin nos limites.
Cette maturité s’accompagne hélas de cette éco-anxiété qui est l’autre versant de la médaille.

L’éco-anxiété est-elle pathologique ?
L’éco-anxiété est reconnue comme un stress légitime face à une menace sérieuse. Elle est une réaction qui peut être perçue comme rationnelle au regard des enjeux, avec les données dont nous disposons actuellement. Contrairement aux autres formes d’anxiété, elle pourrait témoigner d’une forme de lucidité.
Cependant, c’est un état d’âme qui peut rendre malade. L’éco-anxiété peut devenir pathologique quand la souffrance morale est trop importante et débouche sur un épisode dépressif préoccupant.
L’éco-anxiété peut aussi venir se greffer sur une structure déjà fragile et agir alors comme un écran, dans les deux sens du terme : l’un comme étant une sorte de paravent cachant un état névrotique sous-jacent, l’autre comme un écran de cinéma sur lequel se projette toutes les angoisses et dépressions du sujet. Celui-ci peut utiliser ce « prétexte » sérieux et reconnu pour justifier son désespoir et son désir d’en finir au plus vite avant l’apocalypse.
Responsabilité et culpabilité
La difficulté de cette question repose sur l’articulation entre l’individu et le groupe.
A une échelle globale, nous sommes effectivement et responsables, et coupables. L’état de la biosphère est directement corrélé aux actions humaines qui se sont déroulées par le passé – et se déroulent encore. Cette question se situe au-delà des différences entre les nations, même si il est certain que tous les peuples n’ont pas impacté de la même façon. Les pays industrialisés ont sans doute une responsabilité plus importante que les pays plus pauvres économiquement, mais nous sommes bien tous dans le même bateau qui coule… Nous n’avons sans doute pas tous les mêmes responsabilités, mais nous en payons - et en paierons - le prix ensemble.
A un niveau individuel, le sentiment de culpabilité est plus discutable. Jusque très récemment, notre conscience que chacun de nos actes avait un impact sur l’environnement était plutôt absente. Jeter plutôt que réparer, brûler plutôt que composter, acheter du superflu comme s’il était nécessaire, partir à l’autre bout du monde pour un week-end, etc., ne posait pas question. Nous le savons à présent : chacun de ces actes a eu un effet délétère, c’est un fait. Mais restons conscients de l’échelle.
La culpabilité humaine est énorme mais la culpabilité individuelle de chaque homme ne devrait jamais peser plus que ce qu’il est capable de porter. Or, nous pouvons voir parfois des patients qui ploient littéralement sous ce sentiment qui envahit toute leur psyché et les empêche de vivre. Ils ont honte d’appartenir à l’espèce humaine, honte de ce que leurs ancêtres et leurs voisins ont provoqué. Il me semble que le fardeau devrait être partagé, chacun se devant de porter sa part – pas moins, mais pas plus.
La culpabilité est un sentiment qui paralyse et empêche d’avancer. Elle gâche inutilement la vie.
Elle peut même devenir carrément dramatique et mener au suicide. Se juger soi-même coupable, c’est risquer de se condamner soi-même à la peine de mort.
Eco-anxiété et avenir
Ce dont il est question, cependant de façon assez certaine, c’est de notre finitude en tant qu’espèce humaine.
Dans cette perspective de l’effondrement du vivant, c’est également de notre disparition pure et simple dont il est question. L’angoisse de mort plane sur l’éco-anxiété.
La disparition de l’ensemble de l’espèce humaine est une perspective autrement vertigineuse que sa propre fin.
Mourir, de façon individuelle, est déjà difficile à concevoir, mais on peut se « consoler » en se disant qu’on laisse une trace de notre passage ici-bas : des enfants, des œuvres d’art, un jardin, que sais-je encore ? Mais ces traces n’ont de sens que si d’autres humains nous survivent et se rappellent de nous. Si plus personne n’existe sur Terre, quel sens prend notre vie, comment repenser nos empreintes individuelles ?
Comment imaginer concevoir des enfants et rêver d’une vie plaisante pour eux ? Comment investir l’avenir, faire des études, avoir des projets ?
Nous sommes pris dans une sorte de vertige de désespoir, une angoisse qui est celle de vivre sans destin, sans futur. C’est une angoisse qui touche au plus profond de notre sentiment d’exister.
La vie risque donc de perdre tout sens.

Alors, que faire ?
A défaut d’avoir le pouvoir de sauver le monde de sa fin, nous avons celui de prendre soin de nous et de ne pas nous laisser sombrer dans cette éco-anxiété.
1°) Goûter le présent
On ne sait pas de quoi le futur sera fait, mais on connaît son présent. Celui-ci peut nous apporter beaucoup plus que ce que l’on pense.
Etre heureux du reflet du soleil sur la mer, du souffle du vent sur notre peau, des senteurs qui nous parviennent. Goûter ce bon moment passé avec un ami à la terrasse d’un café, ce baiser donné par notre enfant reconnaissant. Rire d’une blague entendue, s’étirer, laisser le goût de l’aliment aimé s’allonger dans notre bouche. Notre quotidien peut être riche de petites secondes de plaisir qui nous donne la force de la vie.
2°) Se reconnecter à la Nature
L’origine du mal vient d’une trop grande séparation avec la Nature, pour diverses raisons. Or celle-ci possède l’effet souverain de pouvoir nous apaiser.
Aller nous immerger en elle, faire une balade en forêt ou au bord d’une rivière, s’asseoir contre un arbre, sentir l’odeur de la terre mouillée, écouter les oiseaux chanter… Goûter la Nature telle qu’elle est, telle qu’elle s’offre, est un plaisir simple qui a des effets magiques.
3°) Méditer
La méditation met dans un état de conscience légèrement modifié qui permet une mise à distance des soucis qui nous tracassent. Méditer, c’est revenir à l’essentiel de qui nous sommes : respirer, et être.
4°) En parler.
Ce qui est délétère dans l’angoisse, c’est quand elle nous avale complètement. Parler, c’est déjà prendre un peu de distance, nous décaler pour pouvoir nommer ce qui nous fait peur, parler de notre éventuel sentiment de culpabilité.
Le nœud entre angoisse individuelle et menace collective mérite d’être exploré.
Je ne saurai trop vous conseiller que de faire cela avec un professionnel de la relation d’aide. Ce qui vous tracasse mérite d’être creusé avec quelqu’un qui saura se détacher de ses propres angoisses quant à cette menace commune.
Avec lui, vous allez pouvoir vous interroger sur ce que vous attendez de la vie. C’est à l’aulne de sa finitude que celle-ci prend une consistance que l’on ne soupçonne pas au quotidien. C’est le moment de se poser les questions essentielles.
5°) Mettre du sens à ses actions
Une fois que vous avez les idées claires sur ce que vous souhaitez, les actions que vous entreprendrez auront plus de sens.
Peut-être (ou peut-être pas) que vous aurez envie d’agir pour tenter de contrer la catastrophe. Vos actes, alors, auront la finalité de lutter contre ce qui vous inquiète. J’aime cette histoire du colibri qui « fait sa part », en apportant courageusement de l’eau goutte par goutte pour lutter contre l’incendie de la forêt, tout en ayant conscience que ça ne suffira pas. Non seulement il y a l’idée que si chacun fait sa part, ensemble on aura peut-être du pouvoir contre le fléau, mais aussi, le colibri est en accord profond avec ses valeurs, ce qu’il croit devoir faire, et donc il est en paix.
Vous pouvez choisir d’agir à votre mesure, selon ce qui semble juste, selon ce que vous êtes prêt à faire. Ne plus prendre la voiture pour aller à la boulangerie, même si cela prend un peu plus de temps. Diminuer votre consommation de viande. Tenter de faire pousser vos tomates. Ou prendre votre bâton de pèlerin pour tenter d’aller convaincre les politiques d’agir à plus grande échelle. Rejoindre une association de lutte contre le réchauffement climatique. Les exemples sont nombreux !

L’éco-anxiété est un stress légitime mais elle ne sert à rien tant qu’elle reste à l’état d’émotion.
C’est ce que vous allez en faire, pour vous, pour le groupe, qui lui donnera du sens.
Luce Barrault
Mars 2023
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